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BIOGRAPHE HOSPITALI7RE

Valéria Milewski, biographe hospitalière

 

Témoignage d’une biographe en milieu hospitalier.

Valéria Milewski est biographe hospitalière. Les personnes gravement malades qui souhaitent raconter leur histoire pour en faire un livre ont la possibilité de se confier à elle. Elle travaille au service de cancérologie du centre hospitalier de Chartres, en parfaite synergie avec le personnel médical. Le récit deviendra un magnifique livre relié qui sera remis à l’auteur, à sa famille ou au destinataire de son choix. C’est un service entièrement gratuit. Souriante et disponible, Valéria a accepté de changer de rôle quelques instants pour se confier à nous.  Une fois n’est pas coutume !

 Quel est le profil des patients susceptibles de faire appel à vos services ?

Ce sont des personnes atteintes d’un cancer. Elles sont gravement malades, en situation palliative. Leurs chances de guérison sont infimes, elles continuent à recevoir des soins pour leur propre confort.

Quel âge ont les personnes qui vous confient leur récit ?

Le service de cancérologie de l’hôpital de Chartres accueille les patients à partir de l’âge de 20 ans. Il m’est arrivé de travailler avec des personnes très jeunes.

Êtes-vous directement sollicitée par le patient ?

Cela arrive, mais le plus souvent c’est le personnel soignant qui attire mon attention ou révèle au patient cette possibilité. En dialoguant avec les malades, les soignants peuvent déceler une angoisse qui pourrait être apaisée par le récit. Un besoin de se raconter, d’évacuer à l’extérieur de soi des  choses lourdes. Certains acceptent, d’autres refusent ou demandent un temps de réflexion.

Avez-vous déjà reçu une demande de biographie de la part de la famille du patient ?

Oui,  c’est déjà arrivé, mais le plus souvent, cela se passe dans l’autre sens. La personne malade souhaite faire une surprise à sa famille en écrivant son récit de vie. C’est un magnifique cadeau ! Nous travaillons alors dans le secret.

En racontant ce que fut leur existence, les patients gravement malades ne craignent-ils pas de mettre un point final à leur vie, même de façon symbolique ? 

Cela peut faire partie de leurs inquiétudes même si je présente cette démarche comme un « projet de vie ». Pour autant, leur départ n’est pas programmé. Personne ne peut dire combien de temps ils auront encore à vivre. Cela fait trois ans que je travaille avec un patient à qui la médecine ne donnait plus que six mois à vivre.  Nous en sommes à 48 séances.

 N’est-ce pas trop douloureux de mettre le mot FIN, lorsque la dernière page vient d’être écrite ?

Tout d’abord un récit est rarement terminé, car souvent les « racontants » s’en vont après quelques séances. Ils nous quittent définitivement. Mais est-ce vraiment important de terminer un récit ? Probablement pas. Ce qui compte, c’est prendre  le chemin, commencer à marcher, peu importe si nous n’arrivons pas au sommet.  Pour les auteurs toujours en vie une fois leur récit terminé, je me souviens du désarroi d’un monsieur qui déambulait dans les couloirs de l’hôpital en tenant son livre contre lui. Comme  s’il ne lui restait plus qu’à attendre la mort, comme si le mot FIN devait aussi s’écrire sur sa vie. J’ai également connu une personne qui  ne voulait jamais finir son récit, elle trouvait toujours un prétexte pour éviter les derniers entretiens. Pour faire face à cette situation, avec mes collègues du corps médical, nous avons donc décidé de rajouter quelques pages blanches à la fin du livre. Ainsi, l’auteur peut continuer à écrire la suite de son histoire. Un symbole, mais qui a toute son importance !

Où se déroulent les entretiens ?

Certaines personnes  vivent chez elle, mais viennent régulièrement à l’hôpital pour recevoir des soins. Les entretiens se passent alors dans mon bureau.  Quant aux autres patients, je viens à leur rencontre dans la chambre d’hôpital,  ce sont exclusivement des chambres individuelles.

La famille peut-elle assister aux entretiens ?

Oui, à la demande de la personne malade. Nous formons alors une sorte de triangle avec un conjoint, un enfant, un parent, etc.

Confier des moments importants de sa vie n’est pas une démarche anodine. J’imagine que vous devez d’abord gagner la confiance de votre interlocuteur ?

Je ne sais pas si la confiance se « gagne », mais elle se construit et il est préférable que le courant passe dans les deux sens. Je peux avoir une personnalité qui ne leur convienne pas, les mettre mal à l’aise.  Comme vous le soulignez, c’est une démarche qui n’est pas simple. Réciproquement, je peux  avoir des difficultés à communiquer avec mon interlocuteur, ce qui nuirait à la qualité de notre travail. Dans ce cas, mieux vaut s’abstenir. C’est une hypothèse qu’il ne faut pas écarter, bien que ce ne soit encore jamais arrivé, ni dans un sens, ni dans un autre.

Comment se déroulent les entretiens ?

Il n’y a pas de micro entre nous, j’ai seulement un crayon et un cahier pour noter ce que le patient me raconte.  Cela se déroule naturellement, sur le mode d’une conversation. Je ne mets pas de masque, je n’enfile pas le costume du biographe, je suis moi-même avec eux comme je le suis dans la vie de tous les jours. On boit le café, on plaisante, on rit, on pleure … Je ne les vois pas comme des personnes malades. Le diagnostic ne me concerne pas, il ne regarde que le personnel soignant.

Une fois recueilli et rédigé, que devient le récit ?

Si la personne n’est pas décédée, elle va corriger le récit, puis, quelle que soit la situation, un graphiste fera la mise en page et je remettrai le document à un relieur d’art. La personne malade ou sa famille pourront alors disposer d’un magnifique livre relié de façon artisanale avec un papier de très haute qualité.  Quant à moi,  je ne conserve rien, je remets tous les documents au « racontant » ou à sa famille. Personne d’autre au sein de l’hôpital n’aura connaissance du récit.  Je précise que l’ensemble de la prestation, depuis les entretiens jusqu’à la fabrication du livre, est entièrement gratuit.

Assurez-vous la publication des récits ?

Non, nous ne la prenons pas en charge. Cependant rien n’empêche l’auteur ou sa famille de faire cette démarche auprès d’un éditeur.

Pourquoi ceux qui s’adressent à vous décident-ils de raconter leur vie ?

Même si c’est souvent l’intention de départ, le projet  dépasse largement la simple transmission de souvenirs. C’est un véritable retour sur soi, une sorte de bilan. Je cite souvent cette phrase de Paul Ricoeur , car elle sous-tend tout mon travail : « Inviter le narrateur à faire le récit de sa vie, c’est l’inviter à donner de la cohérence, de l’unité et du sens à sa vie ». Pour moi, cette phrase résume tout.  Lorsque nous sommes gravement malades, nous nous sentons rejetés, éclatés, morcelés. Entreprendre le récit de sa vie, c’est rassembler les pièces du puzzle et les remettre en place, une à une. Même si nous le faisons de façon inconsciente, cela semble apaiser nos douleurs intérieures, nous nous déchargeons en posant un baluchon devenu souvent bien lourd.

Lorsqu’on décide de raconter son histoire et qu’on est très malade, ne risque-t-on pas de s’épancher un peu trop, de ne voir que la maladie ?

Aussi étonnant que cela puisse paraître, c’est tout le contraire qui se produit. C’est le côté lumineux de leur vie qui émerge en priorité. Ceux qui racontent sont souvent agréablement surpris par tout ce qu’ils ont accompli dans leur existence. Pourtant, ils ne se racontent pas de fariboles, ils n’essayent pas de se faire croire des choses. Ils sont à un moment de leur vie où ils ne jouent pas, ne trichent pas. Ils sont eux-mêmes… avec leur subjectivité ! « C’est pas du vrai, mais ça dit du vrai ! », écrivait Paul Ricoeur. À travers le récit, leur vie prend soudain une autre dimension.  Ils la voient sous une autre perspective, sous un autre angle. En racontant leur histoire, ils dépassent la maladie qui occupe rarement plus d’une page dans leur récit.

Quel est le regard du personnel soignant sur cette pratique ?

Plutôt favorable. Sur le plan médical, les bénéfices sont perceptibles : parfois moins de douleurs, moins de fatigue, davantage d’appétit et surtout un meilleur moral ! Le patient a un but, un projet et s’y accroche. Comme on le sait d’après les différentes études, cela joue positivement sur la maladie. Je fais des conférences dans différents pays  et les médecins me réservent toujours un excellent accueil, même s’ils se montrent surpris au début.

 Pourrait-on considérer la biographie comme un soin ?

Ce sont les résultats de notre première étape de recherche qualitative, l’équipe soignante parle effectivement d’un soin. Quant à moi je serai plus prudente. Je ne me considère pas comme soignante. Cette pratique est relativement récente, je pense qu’il faut laisser passer encore un peu de temps avant de pouvoir tirer de telles conclusions.

Combien de biographies écrivez-vous chaque année ?

Environ, une dizaine. Je suis biographe hospitalière depuis septembre 2007  et j’ai écrit une cinquantaine de récits.

Vous êtes à l’origine de cette initiative et vous avez été la première biographe hospitalière en France et peut-être dans le monde, que faisiez-vous auparavant ?

Avant cette « aventure », j’écrivais pour le théâtre. Lorsque j’ai pensé à cette démarche de la biographie hospitalière,  je suis devenue biographe indépendante et, parallèlement, dans le cadre du bénévolat, j’accompagnais des malades en soins palliatifs avec l’association.

Y a-t-il d’autres biographes hospitaliers en France ?

J’ai eu le plaisir de former d’autres biographes hospitalières, deux autres ont commencé à exercer si bien que nous sommes trois actuellement. L’une exerce à Toulouse auprès des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et l’autre à Pontoise dans un service de soins palliatifs.

Comment devient-on biographe hospitalier ?

Outre une formation et surtout une pratique du genre biographique, il est essentiel d’avoir été formé à l’accompagnement de malades en soins palliatifs dans une démarche au long cours. Il y a de nombreuses associations qui offrent cette opportunité dans le cadre du bénévolat.

Les personnes qui seraient intéressées par l’exercice de cette profession peuvent-elles vous contacter ?

Oui, si elles ont les pré-requis (biographes et formées à l’accompagnement des personnes en soins palliatifs). Elles peuvent bien sûr me contacter par l’intermédiaire de l’association Passeur de mots, Passeur d’histoires.

Cette association fédère non seulement des biographes hospitaliers, mais aussi toutes les personnes intéressées par la recherche dans ce domaine. Parmi nos adhérents, il y a des sociologues, des philosophes, des théologiens…  Dans le cadre de cette association, nous assurons la formation des futurs biographes hospitaliers, mais nous n’en avons pas l’exclusivité.

En dehors de votre activité de biographe, vous donnez des conférences et faites de la recherche. Vous n’avez donc plus le temps d’écrire pour le théâtre ?

Si, encore un petit peu ! J’ai repris l’écriture pour le théâtre il y a quelques mois et je joue mes textes sur scène pour la première fois ( !), accompagnée d’une danseuse et d’un musicien. J’écris également un livre de réflexions sur mon travail. Il  paraitra bientôt, mais pour l’instant je ne peux pas vous en dire plus, secret d’éditeur oblige !

Ce n’est pas indiscret de vous demander sur quel thème porte votre pièce de théâtre ?

Je parle de récits de vie, cela vous étonne ?

 

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Patrick du Boisbaudry
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