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Sophie Divry

Interview

Comment devient-on écrivain ? Sophie Divry, auteure de trois romans publiés à compte d’éditeur, nous raconte son parcours en répondant sans détours à cette question. Comme elle nous le confie dans cette interview, rien n’a été facile. Sur trente maisons d’édition à qui elle a envoyé son manuscrit, une seule lui a répondu favorablement. Sa patience, son obstination et bien sûr son talent ont fini par payer et de la plus belle façon puisqu’elle a obtenu pour son dernier roman la mention spéciale du prix Wepler* 2014. Une vraie raison d’espérer pour tous les auteurs en devenir.

Comment avez-vous publié votre premier livre ? Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?

J’ai publié mon premier livre, La Cote 400, à l’âge de 31 ans. J’avais envoyé le manuscrit à une trentaine de maisons d’édition. Une seule personne, alors que je n’y croyais plus, m’a appelée. On s’est rencontrés, je travaille toujours avec elle depuis. Mon premier roman a assez bien marché, il a surtout été traduit en cinq langues. Le deuxième n’a eu que peu de public, c’était un sujet plus difficile. Cette année, j’ai publié mon troisième roman qui a reçu la mention spéciale du Prix Wepler 2014.

Votre éditeur vous a-t-il demandé de retravailler certains passages ?

Oui, sur mon premier texte les remarques ont été importantes. C’était un monologue de théâtre. Or, l’étiquette « théâtre » comme celui de la « poésie » est difficilement vendable de nos jours, ça effraie un éditeur rencontrant un nouvel auteur. L’éditrice m’a suggéré d’enlever les didascalies et d’en faire plutôt un récit. J’ai d’abord dit non, puis j’ai essayé, j’ai vu que ça me permettait d’aller plus loin dans mon travail.

Comment avez-vous réagi lorsque vous avez vu pour la première fois votre livre en librairie avec votre nom ?

Il s’instaure au début une espèce de honte, puis de dédoublement. Maintenant j’assume : ce n’est pas moi qui suis en librairie, c’est mon travail. Par contre, c’est rarissime que je relise mes livres.

Comment participez-vous à la promotion de vos romans ? Séances de signatures, interviews, salons …

Au fur et à mesure les invitations se sont faites plus nombreuses. C’est à la fois une joie et une fatigue. Rencontrer des lecteurs est très revigorant. Par contre, il faut toujours garder un espace de concentration et de calme, ne pas se disperser. Notre travail, ce sont les textes. Ce sont l’éditeur, l’attachée de presse, le libraire, le critique, qui travaillent ensuite. Je ne veux pas me transformer en VRP. L’avantage des salons est ceci dit de rencontrer d’autres écrivains, mais surtout de se sentir enfin un peu « écrivain », et non une fada enfermée à scribouiller.

Peut-on vivre de son écriture quand on est écrivain ?

Non. Cela peut bien sûr arriver, mais il faut être ferme là-dessus : penser qu’on va vivre de sa plume est une erreur. La plupart des dizaines de milliers d’ouvrages qui paraissent en France chaque année ne dépassent jamais les 500 exemplaires. Écrire un best-seller comme JK Rowling est un cas contraire au marché. Abandonner tout pour cette mythologie relève d’une mise en danger sociale déraisonnable. Dans les faits, beaucoup d’écrivains prennent ce risque. Mais écrire, sauf chez les rentiers, c’est souvent s’appauvrir, socialement et financièrement. Alors le plus répandu reste d’avoir une profession nourricière à côté : médecin comme Céline, agent d’assurance comme Kafka, diplomate comme Gary… Les auteurs vivent essentiellement de ce second métier, vous pouvez lire sur ce sujet l’enquête de terrain de Bernard Lahire, « La Condition littéraire » (La Découverte). Sinon, il y a la solution des subsides publics (assedic, minimas sociaux), des bourses (auprès du CNL), des résidences (publiques, privées, mixte). Beaucoup d’entre nous se cramponnent à leur conjoint ou leurs parents… Il faut entretenir de bonnes relations (!) Ceux qui vivent des ventes de leurs livres sont une infime minorité, et encore, cette période faste peut vite mal tourner. La situation est pire qu’avant sur le domaine des droits d’auteurs. La SGDL a fait en octobre 2014 des rencontres à ce sujet.

D’après vous, l’écriture, c’est un don ou cela s’apprend ?

ll n’y a pas de don. Sinon le don que l’Éducation Nationale nous a fait en nous apprenant à lire, à aimer lire, à savoir écrire. Sinon le don que certains parents nous ont fait en nous mettant au monde parmi les livres. Sinon le don ne n’avoir pas à gagner sa vie pour se consacrer à sa passion (tel fut Flaubert). Écrire s’apprend. Cela ne veut pas dire qu’il faut écrire de manière « littéraire »!! C’est en lisant les auteurs des siècles passés ou présents qu’on s’en nourrit, en les aimant ou les détestant. On définit ses goûts, et on se dirige avec ces enseignements vers le texte que l’on a à faire. Quand on lit en tant qu’écrivain, il faut regarder la phrase, sa musique, son énergie : pourquoi ça fonctionne ? Pourquoi ça ne fonctionne pas ? Écrire s’apprend parce qu’il faut s’approprier l’histoire littéraire. Lire, toujours lire. Écrire beaucoup, sous toutes les formes, tout ce que vous voulez. On apprend en avançant.

On parle souvent de la solitude de l’écrivain, qu’en pensez-vous ?

Pour paraphraser Moustaki, l’écrivain n’est jamais seul avec sa solitude. Quand il ne la retrouve pas, elle lui manque. Il doit lui donner des rendez-vous, il a hâte de congédier ses visiteurs pour la retrouver, il lui fait confiance, elle lui montre le chemin dans le doute. Proust disait que les livres sont les enfants de la solitude. Certains écrivains, et j’en suis, alternent avec des périodes plus sociales. Mais la première lutte de l’écrivain est de créer, préserver et défendre sa solitude.

Selon vous, quelles qualités essentielles doit posséder un écrivain ?

Tous les écrivains que je connais sont travailleurs, ambitieux, solitaires, inspirés, lecteurs assoiffés, hypersensibles, curieux. Je ne sais pas quelles sont les qualités essentielles. Je ne pensais pas avoir d’imagination, et puis c’est venu. Certains disent que la sincérité prime sur tout, mais avec des mensonges on fait de la très bonne fiction.

À quel rythme écrivez-vous ?

J’écris le matin en bibliothèque. L’après-midi aussi, quoique plus difficilement. Je fais cela quatre jours par semaine, plus le dimanche après-midi. Mon problème est plutôt de trouver du temps pour de grandes plages de lectures. Si je peux, je pars en « résidence d’auteur » deux mois par an : différentes structures accueillent les auteurs contre quelques animations culturelles. Les résidences sont des accélérateurs de particules pour les écrivains, et une source de revenus. Vous y avez accès dès que vous avez publié un livre à compte d’éditeur. Voyez sur le site de la Maison de la littérature : http://www.m-e-l.fr

Quels conseils donneriez-vous à une personne qui souhaite publier un livre ? Quelles erreurs éviter ?

La littérature est un domaine où il y a peu de règles, d’autres que moi vous donneraient d’autres conseils. Mais le premier conseil c’est de finir son livre. Un texte en cours doit trouver sa fin, ou son unité. Si vous reportez toujours, ça ne marchera pas. L’effort prime sur tout. L’erreur à ne pas faire est d’envoyer son manuscrit à trois maisons seulement, les plus grandes, et de considérer que son manuscrit est nul parce que ces messieurs le refusent… Il y a des centaines de maisons d’édition en France. Il faut trouver leur adresse et essayer, réessayer… Écrire un livre est une chose, mais être écrivain, c’est terrible à dire, ce n’est pas seulement écrire, c’est se faire publier. Évidemment, des textes valables passent à la trappe, et j’aimerais souvent lire de moins bons textes mais plus frais et plus vrais que ce que produit une classe homogène d’écrivains propres sur eux. Cela dit, si vous avez quelque chose dans le ventre (au propre et au figuré), si vous écrivez longtemps, avec intelligence mais sans prétention, avec acharnement mais sans perfectionnisme suicidaire, en vous appropriant votre solitude et vos efforts, en vous constituant un petit panthéon personnel d’auteurs avec qui vous dialoguerez, vos textes deviendront meilleurs ; si vous les soumettez encore et toujours, et si vous croyez en vous, vous finirez par rencontrer un éditeur qui vous donnera votre chance. Mais encore une fois, prudence : publier un livre ne fera pas bouillir la marmite, assurez vos arrières, il ne faut pas lâcher la proie pour l’ombre.

 

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*Le prix Wepler est un prix littéraire créé en 1998 à l’initiative de la librairie des Abbesses, avec le soutien de la Fondation La Poste et de la Brasserie Wepler (place Clichy, Paris 18e) et qui distingue, au mois de novembre, un auteur contemporain en dehors de toute visée commerciale. Il fonctionne avec un système de jury tournant. (Source Wikipedia)
Le Prix a été remis lundi 10 novembre à :
Jean-Hubert Gailliot, Le Soleil, Éditions De L’olivier
L’ouvrage relate la quête d’Alexandre Varlop pour retrouver Le soleil, un manuscrit volé ayant successivement appartenu au photographe surréaliste Man Ray, au poète Ezra Pound et au peintre Cy Twombly. De Mykonos à Formentera en passant par Palerme, l’enquête le conduit de rencontres en découvertes, jusqu’à réaliser l’ampleur des manipulations dont il est l’objet.
La Mention spéciale du jury revient à :
Sophie Divry, La Condition Pavillonnaire, Noir Sur Blanc/Notabilia
À travers la vie d’une femme, M.-A., dans la province française des années 1950 à 2025, ce roman décrit la condition féminine contemporaine dans les classes moyennes et interroge l’absurdité de l’existence.
(Source : fondationlaposte.org)

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