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FRANCOIS BEAUNE                                       François Beaune tend son micro pour recueillir une histoire vraie

 Rencontre avec François Beaune (interview)

François Beaune nous tend son micro pour recueillir nos histoires     vraies  en France mais aussi hors des frontières. Après un tour de la Méditerranée à travers une dizaine de pays, il « s’attaque » maintenant à la Vendée. Pourquoi cette course effrénée ? Comment cette idée lui est-elle venue ? Étonnante quête sur le terrain à la découverte de l’humain, alors que tant d’écrivains trouvent leur inspiration enfermés dans leur tour d’ivoire … Réponses de François Beaune dans cet interview.

(Écrivain, François Beaune a publié plusieurs ouvrages aux éditions Verticales. Il a écrit « Un homme louche », paru en septembre 2009 (Folio, avril 2011), « Un ange noir », publié en septembre 2011, et « La Lune dans le puits », en septembre 2013. Il est également l’auteur d’une pièce de théâtre (Victoria) et d’un spectacle de cabaret (Le Majestic Louche Palace), sans compter de nombreuses publications de magazines et il a fondé le festival « Le cinéma à l’envers »).

Vous recueillez des histoires vraies auprès de personnes de tout horizon. Comment vous est venue cette idée ?

J’étais invité en résidence à Manosque pour le festival des correspondances. Mon idée a germé au cours d’une discussion qui s’est prolongée tard dans la nuit avec Olivier Chaudenson, directeur du festival. Je découvrais le métier d’écrivain et me demandais pourquoi on ne profiterait pas de ce genre de manifestation (festivals, salons du livre, etc.) pour recueillir des histoires vraies auprès des visiteurs plutôt que d’attendre sagement derrière nos piles de livres bien rectilignes.

Je crois que vous vous êtes également inspiré de Paul Auster, l’écrivain américain ?

Oui, son projet m’a beaucoup marqué et je m’étais dit que ce serait intéressant de faire la même chose en France. En 2001, Paul Auster reçoit par courrier 4000 histoires vraies. Il en sélectionne 220 qu’il lira chaque semaine à la radio. Il en sortira un livre publié en français sous le titre « Je pensais que mon père était Dieu et autres récits de la réalité américaine ». (coll. Babel, Actes Sud).

C’est un peu la même démarche que vous avez entreprise en faisant le tour de la Méditerranée ?

Dans le cadre du festival en toutes lettres, en collaboration avec France culture et Libération, j’avais d’abord recueilli près de 300 histoires vraies par l’intermédiaire d’un site internet. Puis, j’ai souhaité me rendre directement sur le terrain pour recueillir les histoires à l’aide d’un micro. Je voulais un contact plus direct avec les gens. En 2011, j’étais en résidence d’écrivain à Marseille, et je me suis dit que la ville était un bon point de départ pour entreprendre un tour de la Méditerranée et mettre mon projet à exécution. Pour moi, les histoires ne devaient pas avoir de frontières.

Dans quels pays, avez-vous tendu votre micro ?

Je n’ai pas seulement tendu mon micro, j’ai aussi filmé et recueilli des écrits. J’ai parcouru plus d’une trentaine de villes à travers une dizaine de pays entre décembre 2011 et janvier 2013 et « récolté » près de 1 300 histoires vraies sur l’ensemble du pourtour méditerranéen. Je suis passé par Barcelone, Tanger, Tétouan, Casablanca, Alger, Oran, Tizi Ouzou, Tunis, Sfax, Sousse, Le Caire, Alexandrie, Port-Saïd, Beyrouth, Zahlé, Hammana, Izmir, Istanbul, Athènes, Thessalonique, Catane, Palerme, Haïfa, Jérusalem, Ramallah…

 

Vous parlez d’histoires vraies, mais qu’entendez-vous précisément par « histoire vraie » ?

 

Une histoire vraie est une histoire courte (moins de 5 pages ou moins de 10 minutes), avec un début et une fin. C’est une histoire qui vous est arrivée personnellement ou que l’on vous a racontée, qu’elle soit drôle ou triste : quelque chose de curieux, d’intrigant, d’inattendu. Une histoire vraie est une anecdote importante, qui fait sens dans notre mythologie personnelle, qu’on a envie de partager avec le reste du monde.

 

Comment avez-vous surmonté le problème de la langue ? Faisiez-vous appel à un traducteur ?

Non, j’évitais d’avoir un intermédiaire qui aurait pu déformer le message. Je me faisais expliquer l’histoire dans une langue que je connaissais, mais j’enregistrais l’ « auteur » dans sa langue maternelle.

 

 

Quelle était votre démarche en recueillant ces histoires autour de la Méditerranée ?

Les années 2010, 2011 marquaient le début du Printemps arabe et je me disais que c’était le moment d’écouter les peuples avec la libération de la parole qui s’ensuivait. J’y voyais là une formidable opportunité.

 

N’était-ce pas aussi l’occasion de voir ce qui fait notre différence d’un pays à l’autre ?

Non, au contraire, j’ai surtout cherché à comprendre en quoi nous étions semblables de part et d’autre des frontières. Je voulais témoigner de notre commune appartenance au monde.

 

Comment alliez-vous à la rencontre des gens ? Comment étiez-vous accueilli ?

Parfois, je recueillais les récits au hasard de mes rencontres, mais le plus souvent j’étais en lien avec les instituts français et nous organisions des rencontres publiques avec des enseignants et différentes associations. On me procurait généralement un logement, mais il m’est arrivé de dormir chez l’habitant qui venait de me confier son histoire.

 

De cette belle aventure méditerranéenne, vous avez tiré un livre « La lune est dans le puits ». Pouvez-vous nous en parler ?

J’y ai sélectionné les histoires qui m’ont le plus touché. Bien entendu, j’ai retravaillé le style, mais tout en restant fidèle au fond et à la forme du récit qu’on m’avait délivré. J’en ai retranscrit environ 200, elles retracent des moments forts situés entre l’enfance et la mort. À partir de certains récits, j’ai également réalisé des créations sonores sur Arte Radio. Mais l’ensemble des histoires recueillies au cours de mon périple est réuni dans une grande bibliothèque numérique où vous les trouverez racontées dans toutes les langues.

 

Vous menez actuellement une expérience similaire en Vendée. Les habitants que vous rencontrez acceptent-ils de jouer le jeu ?

Oui, et j’ai fait des rencontres très touchantes. Dans le cadre d’une veillée, chez l’habitant qui a accepté de nous accueillir, nous nous retrouvons une trentaine à échanger nos histoires devant le micro que je tiens ouvert. Certaines personnes hésitent au début, prétextant qu’elles n’ont pas d’histoires à raconter, puis se lancent … En un mois j’ai déjà recueilli plus de 400 histoires.

 

Pourquoi vous êtes-vous autant investi dans cette démarche ? Qu’apporte-t-elle à l’écrivain ?

C’est d’abord une rencontre avec de vraies personnes et de vraies histoires, l’humain est ce qui nourrit un écrivain. C’est aussi un lien de confiance qui se tisse entre deux personnes, celui qui livre son histoire et celui qui la recueille. C’est un geste fort, un engagement de part et d’autre. Cela répond à mes valeurs. Mais je ne recueille pas ces histoires uniquement pour moi, c’est un matériau libre de droits que je souhaite partager avec tous les artistes.